petites morts sans importance
XY
[ X ] Après la vérité des corps nus, il ira prendre une douche. Il ne ressortira de la salle de bains que vêtu et il viendra m'embrasser sur la joue en guise d'au revoir. Sans faire de bruit, il refermera la porte d’entrée derrière lui et je me retrouverai seul, étendu sur le lit, avec pour ultime trace de son passage, son foutre encore tiède sur le ventre. Peut-être aurai-je envie de pleurer. Ridicule, je m'essuierai avec un mouchoir en papier que je jetterai dans les toilettes puis, je me posterai devant la fenêtre de la chambre pour fumer une cigarette et observer les gens dans la rue. Le bruit de la machine à café, crachant sa vapeur, me sortira de ma rêverie. Lentement, je ferai le lit, effaçant de la main les plis à sa place, redonnant à l'oreiller son volume déformé par l'empreinte de son crâne. Je m'allongerai un instant de son côté en me tournant vers le mien, essayant d'imaginer sa vision. Je sourirai probablement. Devant la glace de la salle de bains, je me regarderai dans les yeux à la recherche d'une expression familière, d'un sentiment perdu, mais il n'y aura que le vide. J'urinerai dans l'évier puis, je me laverai à mon tour, chassant du pied vers l'évacuation ses poils. Je me masturberai jusqu'à en rendre mon sexe douloureux et j'abandonnerai sans avoir pu jouir. Le froid rideau de douche collé contre ma cuisse me rappellera au désagréable de la situation. Je me sècherai et je m'habillerai en rêvant à la surprise avant de céder brusquement au prévisible. Car si son désir de me revoir me rassurera dans un premier temps, sa gentillesse et son attention seront très vite anxiogènes. Aussi, je lui inventerai quelques velléités amoureuses à mon égard pour justifier ce qui suivra. Je l’informerai par texto de mon indisponibilité pour les semaines à venir tout en l’assurant de mon souhait de mieux le connaître. En écho à ces mots creux et complice de mon mensonge, il répondra poliment par un « à plus tard, prends soin de toi ». Alors, je mettrai son numéro sur liste noire. Enfin, je consulterai ma messagerie sur l’application de rencontres. Je supprimerai ses messages et je bloquerai son profil. Je validerai un rendez-vous avec un homme qui lui ressemble. Qui passera ce soir, comme d'autres tous les soirs et contre lequel je m'endormirai. Sans jamais rien en retenir. [ Y ]
Je ne saurais lui tenir grief pour son message m’annonçant son indisponibilité
très prochaine tout en prétendant souhaiter me revoir. J’ai moi-même, par le passé, usé de ces stratégies d’évitement :
signifier un manque de temps en place d’un défaut d’envie, ôter tout espace de possible en proposant un rendez-vous chronométré, jouer de la distance jusqu’à lasser... Son SMS
m’est parvenu dans les délais habituels en pareille occasion, à savoir environ
trente minutes après avoir quitté son appartement. J’étais en train de sourire
au souvenir des interdits qu’il m’avait posés la veille, avant
notre passage à l’acte : aucune perspective sentimentale, contrainte ou
obligation. Cela ressemblait d’avantage à un contrat de mariage avec séparation
de biens qu’à la basique baise qui allait se dérouler. Sa liberté affichée
n’était que peur, j’ai donc fait preuve de bienveillance. Toute cette énergie
dépensée pour deux cuillères à café de sperme méritait d’être honorée. Ce fut
particulièrement délicieux. Conscient de sa fragilité narcissique, j’ai
répondu à son message poliment. Puis, j’ai effacé ses coordonnées de mon
téléphone sans le bloquer : lui se chargera d’interdire mes prochains
appels dont il s’est convaincu. Mon numéro rejoindra le cimetière de ses amants
et mon nom complètera la longue liste à réciter lors de soirées entre amis
autoproclamés victimes de ces choses du coeur qu'ils ne savent qu'abîmer. Son
numéro à lui sera oublié, comme son odeur enivrante, sa belle voix, la forme et
le goût de son sexe généreux. Des ingrédients de qualité qui ne nourrissent
qu’un joli mensonge répété. J’avoue ma déception ; sous son langage étudié et ses manières affables, il s’est montré, comme
tous les hommes, prévisible : désireux de qui lui résiste, attaché à qui veut le
quitter et désintéressé de celui qui lui cède. Il est de ceux dont l’intimité
s’exprime exclusivement, tout en s’en défendant, lors de l’acte sexuel et dont le désir expire avec les giclées séminales.
Quelques heures plus tôt, quand l’enjeu
–séduire l’autre- existe toujours, ils savent se montrer moins avares.
Étendu sur le lit, le ventre humide de mes restes, lui n’était plus que le
cadavre, encore tiède, de notre rencontre mort-née du partage de nos corps. Un
bref instant, j’ai saisi sa douce lumière et sa mélancolie ; je l'ai embrassé
sur la joue, comme à l'enfant qu'il était alors. J’aurais souhaité lui offrir
une trêve avant sa transformation définitive en un homme stérile, asséché par
des allers retours entre ses fantasmes et la simple vérité : l’amour meurt dans
ses bras.
|