petites morts sans importance
&
poésie de supermarché

 

 

à table les enfants !

 

 

Un jour, je suis devenu triste. C’est arrivé comme ça, un jour comme un autre, sans événement particulier. Était-ce en hiver ou en été ? Je ne m’en souviens plus. Aucune importance et puis, je ne vais pas m’en justifier : la neige, c’est froid… La pluie, ça mouille… Moi, je suis triste.
Ça et là on m’a dit de ne pas m’inquiéter, que ça passerait. Mais pourquoi devrais-je en être inquiet ? Je ne suis pas malade, ni même mourant : je suis triste point. C’est tout ce beau monde autour de moi qui en a fait un plat comme s’il craignait que ma tristesse ne devienne contagieuse. En fait, je ne me suis aperçu de rien. C’est le regard des autres qui m’a interpellé. Vous savez ce genre de regard en coin un peu catastrophé, avec ce petit chuchotement à son voisin et puis de nouveau ce regard à la fois gêné et compatissant que l’on réserve à celui dont on vient d’apprendre une mauvaise nouvelle, voire une très mauvaise nouvelle.
Mais gêné de quoi ? C’est ma tristesse, pas la vôtre ! Vous n’y êtes pour rien et je ne vous reproche pas votre bonheur même si, vous en conviendrez, ce n’est quand même pas celui dont vous rêviez il y a quelques années. Si je n’étais pas triste, je suis sûr que j’éprouverais moi aussi de la joie à vous voir heureux avec vos petites certitudes et vos mensonges qui portent aujourd’hui le prénom de vos enfants ou de votre chien. Pour les marmots, profitez-en tant qu’ils sont dociles, car une fois qu’ils auront compris la méprise, ils partiront, tout en s’en défendant, reproduire le tableau de votre belle histoire délavée.
Ne m’en veuillez pas, je ne suis pas méchant, c’est à cause de la tristesse : on dit que ça rend irritable. En temps normal, j’apprécierais à leur juste valeur les vacances à Marrakech, la nouvelle cuisine Ikea et la nourriture bio, sans oublier le week-end sur deux chez belle-maman et beau-papa, le tyran d’hier devenu fou de ses petits enfants qui ne le sauveront pas de la prostate cancérigène. Il faut leur fabriquer des souvenirs à ces petits, les programmer, tant qu’il sont soumis, pour pérenniser l’espèce. Parce que vous savez, entre les communistes, les homosexuels et les chinois, l’avenir de la France est grandement hypothéqué.
Vous avez raison, ce qui nous sauverait, c’est une bonne guerre bien propre et intelligente qui n'éliminerait que les chômeurs et les immigrés. Un point positif en appelant un autre, avec le couvre-feu permanent et l’insécurité, les femmes seraient contraintes de rester à la maison ! Pour sûr, on retrouverait très vite le plein emploi. Ce serait comme avant : la baguette coûterait 50 centimes... De franc ! Je précise parce que franchement, le franc c’était autre chose ! La tronche du Général sur la pièce de un franc, qu’est ce que ça avait de la gueule ! On écouterait du Michel Sardou sans le moindre complexe. Comme vous dites, on se sentait fier d’être français à cette époque. Aujourd’hui, c'est du n’importe quoi ! Sincèrement, qu’avons-nous de commun avec un migrant, un sans abri ou tout autre être humain qui n'appartiendrait pas, à minima, à la classe moyenne blanche ?
Si je suis devenu triste un jour, c'est un peu à cause de tout cela, mais aussi du crédit immobilier sur vingt ans pour 30m2, de mon plombier polonais moins sexy que dans la publicité, du dernier album de Maître Gims et surtout, pour toutes ces choses que vous répétez comme une vérité sans vous rendre compte de la bêtise affligeante de vos propos que les médias et les politiques rendent légitimes jusqu'à les normaliser. C’était mieux avant… Oui, c’est toujours mieux quand on a vingt ans. Du moins dans les souvenirs que l’on a décidé de garder en les habillant d’une gloire qui n’a jamais existé. Allez, reculez un peu : il est l’heure de laisser la place aux plus jeunes, la relève vous invite au repos de vos rêves périmés. L'avenir ne se nourrit que d’illusions fraîches.