petites morts sans importance
&
poésie de supermarché

 

 

acherontia atropos

 

 

Incontestablement, il était beau. Mais son immaturité et sa volonté constante de maîtriser toute situation le rendaient au final peu excitant, hormis aux yeux de sa cour de pigeons roucoulant à la moindre de ses brèves apparitions au cours desquelles il se contentait d'afficher une moue dubitative alors qu'il observait mi amusé, mi désappointé la pièce de théâtre sans cesse répétée. Le désir qu'il suscitait lui pardonnait son absence de générosité, la spontanéité ayant disparu au profit d'un protocole qui ne laissait aucun champ d'action à ses prétendants sur lesquels il projetait ses propres failles. Son discours sur les choses de la vie et, défendu, sur celles de l'amour, le confortait dans un statut de victime, qu'il contestait, quand à la vérité il était seul bourreau de ses propres espérances. Ainsi, son argumentaire implacable relevait-il plus de la crainte que d'une véritable ouverture d'esprit. Son narcissisme le confinait à refuser toute surprise d'une personne qu'il aurait alors considérée comme supérieure et, replié sur lui-même, il ne devait qu'à sa plastique l'intérêt que lui portaient des amoureux éconduits quand il espérait secrètement, tout en le redoutant, qu'un d'eux s'opposa à sa toute puissance.
Curieusement, c'est notre incapacité commune à abandonner le contrôle qui nous rendit à l'amitié. Notre solitude et la lucidité sur ces choses du sentiment dont nous nous pensions interdits renforçaient, paradoxalement mais salutairement, notre ego car elles nous rendaient, en un sens, particuliers au point de ne daigner mériter aucun autre qui ne saurait répondre à notre valeur. Aujourd'hui, je souris à la lecture de cette prétention grossière qui ne résultait que de la peur de faire ce choix simple d'aimer et ainsi donc de risquer l'abandon. Mais en cet instant de nos vies douloureuses, nous n'avions d'autres perspectives que d'assumer nos rôles respectifs : il était un paon solitaire à la roue éclatante et moi, un papillon de nuit attiré par son éclairage trop puissant. Dans sa bienveillance et appréciant ma présence, il activait l'interrupteur avant l'instant fatidique ou, trop proche, je me serais brûlé les ailes. Ainsi, pour me maintenir en vie, il me renvoyait dans l'obscurité, à mes plus beaux rêves mais aussi à mon pire cauchemar : celui de ne plus toucher sa lumière.
Mais un jour, comme une évidence, j'ai fermé les yeux et je suis parti. Je ne les ai plus ouverts depuis.