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petites morts sans importance & poésie de supermarché
chaos à la
gare Montparnasse
Ils sont une centaine en tout, errant dans le hall de la gare
Montparnasse, en proie
à la stupeur.
Les visages sont fatigués, les regards désemparés. Mais peu à peu
l’effroi laisse place à la colère. Un premier cri vient déchirer le
lourd silence qui a suivi l’arrivée à l’heure du TGV 8488 en provenance de DAX.
Ce cri, c’est Mounira, une aide-soignante de nuit :
- " Monsieur le journaliste, mon cadre, un homme très bon mais
sodomite, anticipe chacun de mes retours de congés, il avait prévu un
intérimaire pour ce soir et demain… Je ne peux pas lui faire ça, j'ai
trop de respect pour lui, je prie pour lui, le pauvre ! Vous avez pensé
aux malades ? Aux collègues ? Ils ne comprendraient pas de me voir
travailler aujourd'hui. Et puis, je vais vous dire Monsieur le
journaliste, la ponctualité, ce n'est pas arriver en avance ! ".
Mounira s’effondre à demi inconsciente. Dans un dernier effort, elle
tente de téléphoner à son cadre, mais l'émotion est trop forte, sa main
s'échoue sur sa bouche qui répète en boucle " Je suis une honnête
travailleuse moi... ". Elle est très rapidement prise en charge par une
psychologue de la cellule de crise dépêchée par la Direction de la SNCF
qui a aussitôt réagi face à l'ampleur de la catastrophe.
Plus loin, nous croisons Sylvie, secrétaire, qui tient contre sa
poitrine du Sopalin :
- " C’est incroyable cette histoire ! D’habitude, on a toujours 30mn de
retard minimum, c’est là que j’arrive à conclure dans les toilettes, ça
les déstresse. Quand le train est entré en gare, j’ai compris que je n’aurais
jamais le temps, j’ai dû le finir à la main. Non mais vous vous rendez compte
? Je passe pour qui moi ? Je ne le connaissais même pas ! ".
Sylvie reprend sa déambulation, hagarde, murmurant une suite de mots inaudibles et sans
se rendre compte qu’elle se dirige vers la mauvaise extrémité
du quai. Elle est stopée in extremis par Jojo, le SDF qui dort
sous la lettre Z. Au bout du rouleau, Sylvie s'abandonne et semble enfin
trouver un peu de réconfort dans les bras du sans domicile fixe.
Au fil de nos rencontres, tous les passagers débarqués à l’heure nous font
part de leur désarroi. Myriam (Mimi pour les intimes), femme d'affaires,
ne peut contenir ses larmes
:
- " On avait passé une si belle journée : on rentrait de Dax où j’ai
gagné le premier prix de macramé (Mimi sort une serpillière de son sac Quechua
avec motifs en strass). D’habitude, avec le retard, Doudou (son mari)
les enfants et moi, nous mangeons au wagon bar. Là, on sera à la maison
pour 20h00, le restaurant qui livre les fajitas est fermé et je n’ai rien dans le congélateur !
".
Doudou propose un antimigraineux à Mimi qui lui jette brutalement au
visage son oeuvre récompensée quelques heures plus tôt. Soudain, elle se tient le
bas ventre en
se plaignant d'une violente douleur à l'oreille gauche. Face à la
souffrance insoutenable de sa femme, Doudou, hébété, sort machinalement
sa tablette et lance un épisode de " Nature, chasse et pêche ".
Contactée, la Direction de la SNCF a refusé de nous recevoir. Mais selon
nos sources, on note une dégradation sur les retards habituels des
trains affrétés par l’entreprise ferroviaire. Rien que ce mois-ci, ce
sont pas moins de trois TGV qui arrivaient à l’heure
contre toute attente et ce, sans avertir les passagers qui circulaient
à leur bord.
Parmi eux, Mounira, Sylvie et Mimi, des victimes innocentes bien
décidées à faire entendre leur voix malgré le formulaire de demande de
dédommagement remis par des hôtesses à la sortie des wagons. Une class
action est en cours.
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