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petites morts sans importance & poésie de supermarché
dans les cartons
Vidé de ses meubles,
l'appartement révèle ses petits secrets : la pollution tout à coup
criante sur le plafond, le jaunissement de la peinture autour de
l'emplacement des cadres décrochés, une bague réapparue avec le
démontage d'une armoire, la moisissure au fond du placard sous l'évier.
Tout semble plus grand, plus sale. Plus bruyant aussi quand l'écho
répond à chacun de nos déplacements. Alors, nous chuchotons, comme pour
une veillée funèbre d'un cadavre encore tiède, en échangeant des
banalités, des évidences sans autre intérêt que de combler ce vide
immense et d'éviter une énième dispute ou pire, une vraie discussion.
Nos vies sont là, côte à cote, en deux tas distincts qu'une vingtaine de
centimètres sépare, le même espace que nous n'osons plus traverser, vers
l'autre, depuis plusieurs mois. Tu as numéroté tes cartons, listant sur
leur même face, le contenu détaillé de chacun. Tu es prêt pour la suite
: ta nouvelle installation sera rapide, propre et efficace. Je me doute
que cette perfection affichée n'est qu'un protocole pour garder
l'illusion du contrôle et contenir ton émotion. Je me demande dans
laquelle de ces boites empilées tu m'as mis, entre quelques photos, un
cadeau d'anniversaire et probablement la première lettre que je t'ai
écrite : des souvenirs qui attendront dans une cave humide que le temps
érode l'arête tranchante de la cassure.
Tes amis sont arrivés. Les pas sont rapides, la parole économisée dans
ce ballet de va-et-vient rythmé par les souffles courts. Tu t'arranges
pour ne pas croiser mon regard et je m’abstiens de vous aider pour ne
pas rajouter au pathétique de la situation. Je ne suis pas désolé. Il
n'y a pas de colère. Je t'observe en parfaite amnésie de ce que nous
avons été l'un pour l'autre. Je me surprends à sourire en pinçant les
lèvres comme le ferait un joueur qui savait la partie perdue d'avance et
se retrouve soulagé de ne plus avoir à se battre contre l'espoir
d'inverser l'issue du jeu. Mais déçu aussi. La tristesse viendra plus
tard. Je te regarde t'affairer en hâte et je me dis : comme c'est
étrange, en un instant, de ne plus se connaître.
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