petites morts sans importance
&
poésie de supermarché

 

 

face à face

 

 

Face A

Comment lui faire comprendre que je ne suis pas amoureux de lui. Je ne peux lui dire combien son corps étranger, à l’affût du moindre rapprochement de mes mains, ne provoque en moi qu’un mélange de dégoût et de compassion. Ce n’est pas que je ne l’aime pas, c’est juste que non. Pendant un temps je me suis attelé à ressentir, dans une tache laborieuse et à force de persévérance, j’ai même eu l’illusion d’y être parvenu. Mais non, ce n’était pas cela. Il m’a pourtant plu, mais sans vraiment savoir pourquoi, ce fut une erreur. Je le regarde, si insouciant en apparence et j’attends... Qu’il se fatigue de mes silences calculés, qu’il me reproche mon manque d’affection, qu’il se vexe de mes remarques désobligeantes lorsque je daigne lui adresser la parole. Je voudrais qu’il s’use tout simplement, mais il est coriace. Il feint de ne rien remarquer recomposant sans cesse avec l’espace de notre distance, défragmentant ces vides entre nous.
 

Face B

Il est là, en face de moi, jouant à la perfection son rôle de mâle de base que plus rien ne touche. Il est beau, ce con. Et il sait combien sa beauté m'émeut. Au début, son parfait protocole pour éviter tout contact affectueux m’a blessé. Et puis ses nouveaux rituels ont fini par m’amuser, me rassurant presque sur sa capacité à se mettre en mouvement. Au départ de notre relation, j’avais été séduit par sa stabilité qui, à l’usage, s’est avérée n’être que de l’immobilisme. J’ai bien lutté quelques mois pour le sortir de sa torpeur mais son opiniâtreté à ne rien changer tout en me reprochant ses propres dysfonctionnements a eu raison de mon entrain. J’ai fini par m’éteindre et lui ressembler sans même m’en rendre compte. Parfois, j’aimerais tout lui dire, dont ce désir qu’il n’a plus pour moi, mais je ne vais pas lui mâcher ce travail là aussi. Ce devrait être ses mots à lui et c’est par sa bouche qu’il me faudra les entendre pour accepter. Mais il ne dira rien.

 

Alors, nous sommes là, aujourd’hui, dans cette même pièce où il y a peu encore, nous partagions nos sexes, nous observant dans l’excitation et la crainte mêlées d’une confrontation inéluctable. Face à face, emprisonnant dans l’autre le reflet de notre propre débâcle.