petites morts sans importance
&
poésie de supermarché

 

 

i had a reservation [auto-psy de la chimère]

 

 

Ce n’est pas qu’il ne l'’aimait plus, c’est juste qu’il ne l'avait pas aimé. Il avait été là au bon moment et peut-être au mauvais, aussi. Mais cela ils ne le savaient pas, alors. A les voir ainsi, si complices dans leurs silences on aurait pu croire qu’ils appartenaient à une même planète, invisible. Et pour cause, cet espace partagé était bel et bien du vide que tous deux remplissaient. Il ne l’'aimait pas mais il lui était utile pour donner l’illusion qu’il pourrait passer à quelqu’un d’autre, se réparer et au terme de cette relation, être celui qui se séparerait, une façon de redevenir actif après tant d’années à souffrir d'un sentiment passé. Pourtant, ce ne fut pas une rencontre faussée et il se plaisait à rêver qu'il ne s'agissait pas d'un hasard, ni d'une coïncidence mais d'un véritable rendez-vous. Et, à cet instant, il y avait cru.
Mais, il subirait cet autre, interchangeable parmi tant et si éloigné de ses fantasmes, comme une transition inconsciente dans son travail d’un deuil devenu dysfonctionnel. Pour autant, il ne lui avait jamais directement menti, se contentant d’omettre l’essentiel et les quelques dates symboliques qui valident, généralement, un attachement réciproque.

L’autre ne l’avait pas aimé tout de suite, c’était venu avec le quotidien, peut-être même par dévouement. Naïvement, il avait pris son affection et sa gentillesse pour ce qui aurait pu être l’expression pudique d’un sentiment plus profond. A l’âge raisonnable qui avait vu naitre leur relation, ils s’étaient promis l’honnêteté. Mais cette unique clause de leur contrat ne fut jamais respectée : il se gardait bien de le questionner sur son sentiment à son égard, lucide sur ce qui ne les liait pas. Par facilité, il devint l'aveugle, endossant à la perfection un rôle de victime et tentant de se persuader, sans grande conviction, que le temps se chargerait de faire de lui une habitude indispensable à l’autre.

Mais les mois les séparaient toujours un peu plus. Progressivement, avec méthode et sans agressivité, il s'était mis à lui reprocher ce qu'il était, mais en fait, il ne s'agissait que du déplacement sur l'autre de son propre immobilisme. Puis la distance du cœur finit par gagner celle de leur lit. Leurs peaux ne se mariaient plus que dans le sommeil et sa tendresse par une administration calculée, devint l’arme stratégique de cette campagne d’une fin programmée.

La rupture eut lieu à quelques jours du printemps, après une nouvelle matinée de silences, passée dans l’esquive du corps de l’autre. Ils étaient assis face à face, attendant patiemment lequel des deux débuterait l’oraison. A ce jeu là, il était le plus faible, mais le moins lâche aussi et il parla le premier, officialisant ainsi sa propre perte. Il n’y eut aucune larme, aucun cri : la passion n’habitait pas le cœur de l’un, celui de l’autre fut étouffé par sa raison. Mais, pour une fois depuis longtemps, depuis ce premier regard échangé au milieu de la foule, depuis ce premier baiser au sortir de la gare, depuis ces mains tremblantes vers le premier lit qui allait les accueillir, depuis toutes ces nouvelles premières fois qui les voyaient se retrouver, ils ressentirent une émotion sincère. A les voir ainsi, si précautionneux, on aurait pu croire qu’ils venaient tout juste de se rencontrer. En fait, il ne s’agissait que du protocole, dans l’attente du départ final. Un décollage en douceur.

En se séparant il l’’assura de son attachement et de son désir de maintenir cette affection véritable qui le liait à lui. Mais il n’aurait su être question d’une amitié, impossible, tant ils n'avaient été que des inconnus familiers l’un pour l’autre, ni d’une relation apaisée qui aurait lié les deux amants passionnés qu’ils ne furent jamais. Et ce fut là son seul mensonge, car il n’aurait aucune place à lui réserver dans sa vie.