petites morts sans importance
&
poésie de supermarché

 

 

la méprise

 

 

Assis juste en face, tu me souris l'air faussement paisible. Je lis dans tes yeux l'inquiétude et tu as dissimulé tes mains dont j'aurais aussitôt noté le tremblement. Tu commences ton discours, une suite de mots choisis mais je ne t'écoute pas. Je t'observe et j'imagine le labyrinthe de tes phrases, le long parcours qui éloigne le point de départ de celui de l'arrivée, comme la dernière promenade de l'animal que l'on accompagne à l'abattoir. J’acquiesce avec bienveillance à chacune de tes estocades déguisées et conscient de ne pouvoir lutter contre ce courant, je me plais à l'accompagner afin de te rendre la tâche plus facile. A un point tel que tu en viens jusqu'à douter de ta décision. Car si aujourd'hui tu m'annonces la rupture, c'est uniquement parce que tu es convaincu de mon sentiment à ton égard.
Alors, j'invente une ligne entre nous, sachant que tu n'auras de cesse de vouloir la franchir sitôt que tu auras pris connaissance de cette frontière. Comme tous les hommes, tu es prévisible: désireux de ce qui te résiste, attaché à ce qui te fuit et dédaigneux de ce que tu possèdes. Il n'y a rien de jouissif à renverser ainsi la situation : tu m'apparais dans tout ton pathétique et je me rends compte de la médiocrité dont j'ai fait preuve en miroir, petite chose inutile, interchangeable entre mille. Tu partiras, ton narcissisme en bandoulière et il ne me restera pas même la colère, juste le grotesque d'avoir prétendu au bonheur comme à un droit et, tout en me gardant de l'admettre, la lâcheté d'avoir cédé à la méprise.