petites morts sans importance
la porte invisible
Je n'ai jamais su qui il était. Je veux
dire : qui il était ailleurs. Bien sûr, il y a eu ces années que nous
avons partagées, ces petites habitudes qui n'appartenaient qu'à nous, un
tas de photos et autant de souvenirs communs. Mais ailleurs, je ne sais
pas. Aujourd'hui, passées ses obsèques, après avoir découvert ses
anciens amants qui m'ont raconté celui qu'il fut avec chacun d'eux, unique et pluriel en même
temps, je me rends compte de mon ignorance à son sujet. J'avais accepté son évitement
systématique à mes questions sur sa vie avant nous, finissant par croire dans une réassurance illusoire qu'il
n'avait pas existé avant notre rencontre. Mais ce "nous" auquel il se
pliait en apparence, n'était qu'un leurre pour calmer mon angoisse
d'abandon. Même endormi contre moi, il n'était pas "nous". Il restait en
permanence à côté, tout près d'une porte invisible par laquelle il
pouvait s'enfuir. Paradoxalement, il ne m'a jamais menti. Sa constante bienveillance et
son affection à mon égard m'avaient appris à me satisfaire de la
tiédeur, de ces choses simples qui accompagnent une vie et dont on ne
perçoit l'empreinte qu'une fois orpheline de la main qui l'a dessinée.
Comme un galet poli par le flux et le reflux des vagues ou le tronc
penché d'un saule qui a poussé sous la caresse du vent, j'avais fini par me
soumettre à sa force tranquille.
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