petites morts sans importance
&
poésie de supermarché

 

 

la proie

 

 

Je cours. Je suis nu et je cours vers le bois. Je traverse des murs de ronces qui m'entaillent la chair. Mais la peur est plus forte, j'accélère. Je dois prendre le plus d'avance possible avant qu'ils ne retrouvent ma trace et ne se lancent à ma poursuite. Dans l'obscurité les arbres défilent, je trébuche sur une racine mais je ne tombe pas. Je ne peux pas m’arrêter, je dois poursuivre ma course plus loin, plus vite. Je cours et je n'ai que le bruit de ma respiration pour m'accompagner. L'air est glacé et brûle mes poumons.

Des images s'imposent à mon esprit : il y a ce corps inerte encore tiède que je tiens contre moi, mes mains l'enlaçant dans une dernière danse ; son visage repose sur mon épaule. Je relève sa tête et l'effroi me saisit : je viens d'assassiner l'homme que j'aime, je l'ai tué comme un animal. Je ne sais pas pourquoi, je ne sais pas comment. J'ai pris la vie de mon amour.

J'entends le bruit d'une machine, il faut que je m'éloigne de la route, des chemins, que je m'enfonce au cœur de la forêt là où la végétation est plus dense. Je cours et je ne sens plus la douleur. La plante de mes pieds s'endurcit, la peau sur mes jambes, mes flancs, s'épaissit. Ma vue s'habitue à l'obscurité et je perçois chaque son environnant. Du sang perle sur mon front, mon crâne se fissure prêt à exploser et laisse apparaître deux excroissances. Ma tête s'alourdit de ses nouveaux bois, mon buste se penche en avant et la fourrure réchauffe mon corps. Je prends maintenant appui sur mes mains dont je ne distingue plus les doigts.

Je deviens définitivement la bête que l'on me reproche d'être. Et la proie. Celle dont on exhibera bientôt la dépouille abîmée comme un trophée glorieux. Je dois payer pour le crime que j'ai commis mais la terreur a pris le dessus sur la conscience. Je cours encore et toujours tandis que j'entends venir les chiens.