petites morts sans importance
&
poésie de supermarché

 

 

le roseau et la libellule

 

 

J’aimerais ne plus être ce roseau qui pliera sans se briser toute sa vie durant. A trop courber l’échine, j’en oublie parfois de regarder le soleil et la tête sous la surface, je retiens mon souffle, parmi les larves d’odonates dans la vase. Mais je ne suis pas un de ces féroces prédateurs promis à voler un jour, libres et légers, au terme d’une longue métamorphose. Mes racines sont chaînes. Je reste à tes côtés, un peu en arrière, risquant de te perdre à chaque coin de rue, sans te suivre pourtant, ni me cacher. Ce n’est pas un jeu, je le sais : un accord incertain au désaccord certain, un compromis sans négociation. Un peu comme une place à table mais à l’autre bout de la pièce. Le menu et les convives restent les mêmes, il n’y a que moi qui ne sais pas me tenir : en bascule sur ma chaise, au bord de la chute, à me pencher un peu plus pour mieux t’apercevoir. Mais que ce soit au bout de cette table, au coin de cette rue, te voir ou te parler, est toujours pour moi une première fois.