petites morts sans importance
le silence
Il avait pris le parti de ne plus se faire surprendre. Du moins était-ce là le discours bien rodé
qu'il réservait à qui voulait l'entendre. Il parlait des choses de l'amour comme d'une mécanique, une de ces machines
qu'il se plaisait à démonter pour en comprendre le fonctionnement puis qu'il rangeait au placard une fois qu'il en avait
saisi les rouages. Il vivait avec un tournevis dans la main, toujours à l'affut de quelques entrailles rouillées à autopsier.
Il portait sur lui-même le regard de ceux qui vivent à distance d'émotions douloureuses, d'une enfance abandonnée sur le terrain
vague d'une innocence perdue trop tôt. Et son existence s'était rythmée de rituels garants de sa survie dans un environnement
sur lequel il se posait comme une feuille de papier calque sur un dessin dont elle délave les couleurs. Il comptait en toutes
circonstances : les minutes, les pas, les feuilles sur le platane en face de la fenêtre de sa chambre. Il comptait pour ne pas
se souvenir. Mais, quand la cloche de l'école sonnait et que les enfants galopaient, libres et conquérants descendant la
rue, il tirait les rideaux et se bouchait les oreilles, le visage déformé par sa bouche grande ouverte de laquelle n'émanait
aucun son. Dans cette guerre muette qu'il livrait contre la folie, chaque bataille se terminait par l'épuisement, à même le
sol. Le corps défait, il tirait de la poche de son pantalon la photo d'une autre vie qu'il avait imaginée heureuse et à
l'heure de se souhaiter la nuit belle, il contemplait, en silence, le gouffre insondable de sa solitude.
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