|
petites morts sans importance & poésie de supermarché
l'éclipse
Tu m'as
demandé un jour, au conditionnel, jusqu'où j'irais pour toi et je t'ai
répondu, au futur, que je t'accompagnerai le chemin qu'il y aura. Tu as
ri puis tu m'as giflé. Comme à l'accoutumée tu me testais et moi, dans
cette illégitimité que tu me renvoyais, je te haïssais pour toutes ces
preuves de mon attachement qu'il me fallait t'apporter continuellement
sans qu'elle puissent jamais te convaincre. A peine ma tête était-elle
sortie de l'eau que tu l'enfonçais aussitôt plus profond encore, me
condamnant à retenir mon souffle et à n'apprécier du zénith que la
faible lumière qui s'échouait sur la surface. C'est ainsi que je te
voyais, en apnée, ton ombre au dessus de moi, masquant le soleil.
Quand tu ne fixais que ce point lointain, l'échéance qui s'approchait,
orage chaque jour davantage menaçant, je m'obstinais à contempler le
paysage, relevant les détails qui m'assureraient, le temps venu, les
souvenirs utiles au mensonge convenu d'une histoire plus belle et plus
douce. Nous avons gravi les montagnes, dévalé les plaines, traversé les
lacs sans que jamais tu n'en saisisses la beauté, les parfums et la
fragilité, obnubilé comme tu l'étais par cette dernière ligne à
franchir. Là où le froid et la douleur font les corps se réchauffer et
se réconforter, tu es devenu féroce, affamé de ce qu'aucune nourriture
n'aurait su te rassasier. Mais je t'ai suivi, fidèle à mon engagement,
silencieux à tes colères, résigné à ta violence. J'attendais la nuit
quand la fatigue finissait par te dompter et que, tel un enfant épuisé
de ses contrariétés, tu cédais au sommeil. L'ombre de mes mains sous la
lune caressait alors ton visage adoré. Le même que j'embrasse
aujourd'hui que nous sommes arrivés et que se pose sur toi le voile de
l'éternité. Comme une dernière éclipse.
| |