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		 petites morts sans importance & poésie de supermarché 
		  
		  
		les 12 salopards : 
		Jérôme 
		  
		  
		
		
		
		Chaque 
	mardi, nous nous croisons dans les vestiaires. Et chaque mardi, alors que 
	vous passez devant moi, votre nuque me stupéfait. Je vous laisse partir vers 
	le bassin en avance, le temps de me doucher. En descendant les marches pour 
	vous rejoindre, ma jambe gauche se raidit et j'avance alors en boitant 
	légèrement. C'est ainsi depuis des années maintenant, sitôt que je me 
	retrouve en maillot dans un lieu public : une douleur sortie d'on ne sait où 
	vient se greffer sur mon genou, altérant ma démarche et laissant imaginer 
	aux autres baigneurs un accident dont la séquelle handicapante expliquerait 
	l'atrophie de ma masse musculaire. 
	 
	Vous avez commencé vos longueurs, un pull-boy entre les cuisses afin de 
	favoriser le travail du haut du corps. Je prends la ligne juste à côté de la votre 
	et j'entame ma séance en brasse coulée. Votre vitesse est supérieure à la 
	mienne, ainsi nous nous croisons en différents endroits. Parfois, vous me 
	dépassez quelques mètres avant d'atteindre le bord et je peux admirer votre 
	virage, la puissance de vos cuisses lors de la poussée, ce creux latéral 
	sous le thorax, la fluidité de votre corps s'étirant et laissant apparaître 
	la région pileuse de vos aisselles. Je jubile quelques secondes au risque de 
	désynchroniser ma respiration et mes mouvements, les plus amples possibles, 
	puis je me ressaisis. J'amorce à mon tour le virage et je vous aperçois 
	disparaître, déjà au loin. Et c'est ainsi durant cinquante minutes. 
	 
	Par un heureux hasard, nous quittons le bassin au même instant, peu de temps 
	avant treize heures afin de regagner notre travail. Là encore, je vous 
	laisse prendre quelque avance, luttant contre le flagrant de mon désir. Je 
	choisis la douche la plus éloignée de la votre et dans laquelle je pourrai 
	me rincer nu. En me rendant vers mon casier, nous nous croisons à nouveau. 
	Vous me dévisagez, cherchant mon regard. Je baisse le front, je hâte le pas 
	en traînant la jambe. Nous nous retrouvons un peu plus loin, vers la sortie, 
	sur le banc. Invariablement, je m'agenouille et, lassant mes chaussures, je 
	relève la tête alors que vous avancez dans ma direction. Je vous 
	regarde, j'admire votre barbe, vos yeux. Le plus souvent vous portez le 
	costume. Puis nous nous dirigeons vers les sèche-cheveux. Vous êtes 
	pratiquement chauve, pourtant vous prenez celui à côté du mien. L'espace 
	d'une vingtaine de seconde, nous sommes dans notre salle de bains, intimes 
	devant le miroir. Alors, je souris discrètement et vous observant du coin de 
	l'œil, je m'imagine ajustant le col de votre chemise. 
	 
	Arrivé à la sortie, votre pas hésite mais vous ne vous retournez pas. Vous 
	regagnez la station de métro sans précipitation. Je me plais à croire que 
	vous m'attendez et que vous espérez me voir vous dépasser. Mais comme dans 
	le bassin, je reste en arrière, et m'enlisant à chaque foulée sur un sol 
	devenu instable, j'abandonne me trouvant tout à coup bien illégitime de 
	prétendre ainsi à votre compagnie. Je me raisonne et j'oublie. Mais déjà, 
	nous sommes mardi. 
   
		
		 
		 
		  
		
		
  
		
		
		 
		
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