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petites morts sans importance & poésie de supermarché
les 12 salopards :
Michael
Je crains fort que nous soyons
arrivés au bout de notre parcours mon cher ami : il est temps de nous dire
au revoir. Mais sans animosité aucune, même si nous ne nous sommes rien
donnés de ce que nous nous étions promis, faisons-le comme au premier jour
de notre rencontre.
Vous étiez au milieu de la pièce, entouré de ces gens dont aucun ne
parvenait à vous faire face, immobile et pourtant en constant mouvement,
dans un autre espace -le votre- et dont je me demandais comment j'allais le
pénétrer. Contre toute attente, vous avez laissé la porte ouverte. Plus
tard, j'ai su qu'il n'y avait jamais eu de serrure et encore moins de porte.
Mais à cet instant, je vous considérai comme une forteresse : à prendre. Et
ce fut là ma première erreur. Ces remparts, ce donjon qui auraient protégé
un fabuleux trésor n'émanaient que de mon imagination : les doux fantasmes
d'une midinette. Le parcours du combattant auquel je m'étais conditionné se
révéla n'être qu'une paisible balade, sous les châtaigniers, un lundi
d'octobre, loin des bruits de la ville et que je pris, à tort, pour une
reddition. Vous aviez tout prévu, sans que je me rende compte que la pièce
était déjà écrite avant même notre rencontre. Il vous manquait le second
rôle, vous auditionniez ce soir là. Je me suis longtemps mépris sur ce que
je pensais être votre capacité à anticiper, à vous adapter à la surprise. A
distance, aujourd'hui, je sais que l'imprévu n'a jamais eu son mot à dire
dans notre relation. Votre intelligence, si particulière, s'est mise au
service de votre névrose, compilant toutes les données possibles afin de
prévoir tous les scénarios imaginables. Mais au lieu de vous rassurer, cela
n'a fait qu'augmenter votre angoisse et logiquement, en réponse à l'anxiété,
votre besoin de tout vouloir maîtriser et réduire ainsi mon espace. Tout en
politesse, subrepticement. Car là où je vous croyais avenant, vous n'étiez
que prévoyant, avisé au point de tirer la chasse avant même d'avoir déféqué.
Aujourd'hui, c'est moi qui tire la chasse, mon cher ami. Vous trouverez sur
votre table de chevet un rouleau de papier triple épaisseur : doux,
absorbant et légèrement parfumé.
Vous pleurerez quelques minutes, deux ou trois tout au plus, non pas de
peine mais de vexation : celle de ne pas avoir été celui qui a quitté
l'autre. Vous n'avez pas l'habitude de subir les deuils, vous les provoquez.
En pareille circonstance, votre coup de fil quotidien à votre charmante
maman sera avancé d'une heure. En début de soirée, elle viendra vous
visiter, un Tupperware de soupe de légumes maison, parfaitement passés au
mixeur : la seule vue d'un fil de poireau suffit à vous faire vomir. Vous
lui parlerez de vos réunions politiques gauchistes et aussi de votre dernier
séjour au Bangladesh dans un hôtel cinq étoiles dont le petit personnel
s'est avéré des plus incompétents. Elle vous trouvera fébrile, aussi vous
invitera-t-elle à prendre votre température en rectal, comme pour valider la
gravité de votre contrariété affichée. Et vous vous exécuterez, lui offrant
votre joli postérieur poilu en prenant soin de cacher la tache suspecte se
dessinant sur le devant de votre slip, imitation cuir, commandé sur le
catalogue d'un spécialiste en lingerie pour acteurs de films
sadomasochistes. Au moment de l'introduction du thermomètre et du plaisir
que vous ressentirez, vous comprendrez alors... Peut-être.
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