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petites morts sans importance & poésie de supermarché
les 12 salopards : Stéphane
Seuls les
gens de petite taille sont attentifs, justement, à la taille des gens. C'est
ainsi. Du bas de mon modeste mètre soixante et onze, je suis souvent le
"petit" des différents groupes que je fréquente. La première chose que
j'observe chez les grandes personnes, au delà de leur hauteur, reste la
dimension de leurs mains et de leurs pieds. Je suis toujours interpelé par
une pointure qui dépasse le quarante et un alors que pour le commun des
mortels, c'est une taille somme toute banale voir même minime. La taille
mais aussi la corpulence m'impressionnent. La plupart de mes amis mesurent
une quinzaine de centimètres de plus que moi pour un différentiel de poids
supérieur à vingt kilos, soit un surplus de trente pour cent sur la balance.
Mon sentiment de dépréciation à leur égard est avant tout quantitatif mais,
ma première pensée au contact d'un homme grand reste l'image d'un caniche
tentant désespérément de monter un dogue allemand. Que la nature puisse
accorder à certains ce bonus de masse est remarquable.
Aussi, comment aurais-je pu ne pas remarquer Stéphane. Stéphane et son mètre
quatre-vingt dix huit pour cent huit kilos, dont une cuisse concurrençait
mon torse cachectique et qu'une main levée au ciel suffisait pour masquer le
soleil. Lorsqu'il a débarqué, au cours de la soirée d'anniversaire d'une
ancienne collègue de travail, une "célibatante" comme toutes les autres,
c'est à dire sous Prozac, j'ai cru voir l'ogre du conte. J'ai du lui
apparaitre en petit Poucet car c'est aussitôt vers moi qu'il s'est dirigé.
En vérité, la pièce était remplie d'infirmières désespérées en manque de
couilles, habituées à calmer leurs frustrations sur d'innocents patients.
L'arrivée miraculeuse de Stéphane avait été accueillie par un balbutiement
de vulves chasseresses. Son approche vers moi n'était que le fruit d'une
fuite, afin d'échapper à un acte de cannibalisme castrateur.
Du moins l'ai-je cru, le temps, une minute trente cinq secondes, de faire sa
connaissance. En fait, Stéphane était bisexué. Pas au sens biologique du
terme. Il produisait des spermatozoïdes en quantité suffisante, assez pour
féconder le troupeau d'infirmières présentes ce soir là. Mais
psychologiquement, affectivement parlant, il agissait et ressentait comme
une femme. Au point que pour lui, avoir un rapport sexuel avec une autre
femme relevait du lesbianisme. Mais, il ne souffrait d'aucun trouble
identitaire, il était un homme tout à fait au clair avec son pénis. Mon trou
du cul s'en souvient encore douloureusement dans mes pires cauchemars. Mais
dans sa relation à l'Autre, son schéma judéo-chrétien caricatural du couple
semblait sortir d'une campagne de promotion pour la femme au foyer
américaine des années cinquante toute dévouée à son époux, qui sublimerait
sa soumission et son vide existentiel dans la tenue parfaite du domicile et
la confection quotidienne de pâtisseries.
Sa quête affective, sa crainte permanente de déplaire, avaient une
connotation boulimique angoissante et la culpabilité qu'il induisait de ne
pouvoir le satisfaire finirent par m'épuiser. Je l'ai quitté la veille de la
Saint-Valentin. Il tenta de mettre fin à ses jours car j'avais été son
premier mari, mais en vain, son corps était trop robuste. Régulièrement
encore, il me téléphone et me raconte ses déboires sentimentaux,
reproduisant sans cesse la même problématique mais sans jamais douter qu'il
trouve un jour chaussure à son pied, taille quarante neuf.
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