petites morts sans importance
&
poésie de supermarché

 

 

les fleurs, les poulpes et la caisse à outils

 

 

Il avait l’air fin, il y a dix minutes seulement, remontant l’avenue Borriglione, au milieu des travaux du tramway, son bouquet de fleurs à la main, grimaçant à chaque foulée comme si une douleur sournoise le tiraillait dans sa lente progression. C'est une vieille et fidèle amie dont il justifie l'existence par une opération imaginaire gravissime et qui revient à sa mémoire dès lors qu’il se retrouve face à la foule, de préférence sur une plage, en maillot de bain, quand, au bord de l’hypothermie il se décide enfin à sortir de l’eau et à traverser la colonie de pingouins qui, il en reste persuadé, le scrute et se moque de ses dysmorphies, tout en s’émerveillant qu’il puisse encore tenir debout. La semaine dernière, il a dû préparer une vingtaine de petits poulpes oubliés par ses parents dans le réfrigérateur : ils étaient là, trempant dans l’évier, quelques quarante petits yeux morts le fixant sadiquement. Il a boité durant deux jours.
C’est amusant comme un simple bouquet de fleurs, à l’instar de la compagnie d’un enfant en bas âge ou de la promenade d’un chiot, peut modifier la perception de parfaits inconnus sur votre personne. Dans chaque regard croisé, il s’est découvert tour à tour, jeune amoureux timide rejoignant sa fiancée, galant homme tout au plaisir de son épouse, petit-fils se rendant au chevet de sa grand-mère souffrante. Autant de coups d’œil malicieux que de sourires à son égard qui l’auraient presque rendu à la norme, juste pour quelques pétales, le temps qu’ils ne flétrissent ou, qu’il les offre à celui qu’il retrouvera, demain. Il est conscient de l'inutilité de sa démarche. Habituellement, on le quitte. Et cela semble évident, même pour lui. Il a toujours eu du mal à se sentir crédible à l'heure de conseiller un adulte, de reprendre un enfant mal éduqué ou, tout simplement, d'être l’objet d’une attention bienveillante. Alors, il occupe le terrain, il prend les devants, domestiquant ainsi pour quelques instants, sa sauvagerie ou sa pudeur. Mais, avec des fleurs, c’est tout de même moins facile qu’avec une caisse à outils.