petites morts sans importance
&
poésie de supermarché

 

 

lettre à mon mort

 

 

Il y a longtemps que tu es mort maintenant. Mais ma mémoire, si prompte à occulter le repas de la veille, n'a rien perdu de ses souvenirs. Si je ferme les yeux, tu es là, à mes cotés : je m'attarde sur ton grain de beauté derrière l'oreille gauche et ce poil rebelle sur ton épaule. Je peux te voir mais tu m'apparais toujours de dos, le haut du corps dévêtu, absorbé par la lecture d'un livre ou, endormi sur le fauteuil du salon. Au mouvement de ta joue qui se soulève, je crois deviner que tu souris. Il faudra que j'installe un miroir devant ta place, dans un de mes prochains rêves, car soudain je me rends compte que je ne perçois jamais ton visage.
Parfois, il me plait d'imaginer ce qu'auraient été mes choix si tu étais resté parmi nous. Mais il n'y en aurait probablement eu aucun autre que celui de vivre avec toi. Aussi, il m'a fallu du temps, après ton départ, pour retrouver le mouvement, quand chacun de mes pas en avant nous éloignait un peu plus. Je n'ai pas pleuré, pas encore. La douleur, que je ressens comme au premier jour, n'est pas aiguë mais elle fait partie intégrante de moi. Elle est entrée comme une masse d'eau à la progression d'apparence lente mais constante et à laquelle rien ne saurait résister. Puis, elle est devenue une marée qui va et qui vient sans s'annoncer, une invitée familière qui a pris ta place, naturellement.
Toi qui me reprochais mes rêveries d'un Pierrot, tu serais bien surpris de me voir aujourd'hui. J'ai égaré la lune, apprenant à encoder toute chose -émotion, personne, évènement- en suites binaires. Ainsi, mon monde s'est transformé en de gigantesques chapelets de zéros et de uns, dont la parfaite mathématique ne laisse aucune place à la surprise. Je sais la chimère de ma défense, j'en ai conscience mais j'ai besoin de cette logique, la même qui a fait défaut lorsque j'ai perdu ta vie. La mienne n'est plus qu'une équation dont je ne cherche plus l'inconnue.
Parfois, je vois encore les étoiles, au hasard d'autres corps et je t'imagine m'encourager à t'oublier, mais quand bien même j'aimerais à nouveau, je resterais comme un chien abandonné, heureux auprès d'un nouveau maître mais qui guetterait sans cesse le retour de celui qui l'avait caressé pour la première fois. Car c'est ainsi que tu m'aimais : fidèle.