petites morts sans importance
&
poésie de supermarché

 

 

oublier Yelena

 

 

Je suis assis en tête de wagon quand elle entre et s'assoit en face de moi. Je ne la remarque pas tout de suite, absorbé par quelques pensées inutiles. Puis, je lève la tête et je la vois enfin. Vingt-cinq ans peut-être, de taille moyenne, cheveux blonds retenus par une queue de cheval, yeux clairs, sans fards. Assise comme une enfant, les pieds rentrés vers l'intérieur, les mains sagement posés sur les genoux, le regard fixe. Un blouson rapiécé, un pantalon de sport d'une autre époque et des chaussures trop usées.

Je l'imagine venant d'un pays de l'est et je lui invente un prénom. Elle ne bouge pas, fière, la tête droite, le cou majestueux. Probablement était-elle danseuse, ailleurs. A côté d'elle, une autre femme, apprêtée, dont les jambes à moitié nues attirent le regard des hommes, rit au téléphone. Deux mondes.

Le contraste entre la pureté de son regard si dur et l'aspect misérable de sa tenue me nouent la gorge. Ma respiration se fait plus courte, ma bouche se sèche, toutes mes défenses tombent une à une. Je la regarde et je ne sais pas pourquoi j'ai envie de pleurer. Je la regarde et je voudrais qu'elle comprenne combien je la trouve belle, qu'elle se sente désirable mais elle fixe le néant à ma place, comme si en cet instant précis je n'existais pas, me renvoyant à mon propre vide. Je suis elle comme elle est moi, comme si nous étions chacun le miroir de l'autre.

Alors, je quitte précipitamment le wagon à la station suivante. Mais j'ai beau courir, fuir, essayer de retenir mes larmes, quelque chose me rattrape et je lutte pour ne pas savoir quoi.