petites morts sans importance
&
poésie de supermarché

 

 

pour le meilleur

 

 

Le personnel de l'hôtel a sorti en toute hâte le mauvais décors - un porche en plastique recouvert de papier crépon, une plante et deux chaises rouges - qu'il dispose à même le sable, dos à la mer. Moins d'un quart d'heure plus tard la cérémonie peut commencer. Les futurs mariés sont là, accompagnés de leurs parents respectifs, avec pour seuls autres invités, des touristes, brûlés au deuxième degré, attirés par l'évènement et le buffet sur lequel dégouline déjà un inquiétant gâteau.
Le garçon est insignifiant et la fille si radieuse qu'on lui pardonne sa robe sortie tout droit d'un dessin animé de Walt Disney et ses pieds trop grands. Les vœux puis les anneaux sont échangés, les parents embrassés. Personne n'a applaudi. Dans le champ du photographe, juste derrière les amoureux, un jet ski vrombissant à l'agonie sous le poids d'une grosse anglaise hurlant et dont la vision apocalyptique justifie sans aucun doute possible le massacre des baleines, a joué la marche nuptiale.
A quelques mètres de la représentation, je lis sur les lèvres de la mariée les mots qu'elle glisse à l'oreille de son époux :

- "C'est le plus beau jour de ma vie".

Ce n'est qu'un mensonge : le plus beau jour de sa vie sera celui de l'achat à crédit sur vingt-cinq ans de leur maison, puis la naissance de son premier enfant, puis celle du deuxième, puis le retour sur l'ile pour l'anniversaire de leurs dix années de mariage - séjour au cours duquel il lui refera une dernière fois l'amour comme avant les kilos des grossesses, avant les disputes pour payer les traites de la maison, avant l'arrivée au bureau de la jeune stagiaire blonde, avant les nuits blanches et les anxiolytiques. Le plus beau jour de sa vie sera lorsqu'elle aura enfin déposé plainte pour coups et blessures parce qu'il ne rentrera au domicile qu'alcoolisé, quand elle aura fait ses valises pour le quitter définitivement, qu'elle retrouvera le sommeil et qu'elle réapprendra les plaisirs de ces petites choses de la vie noyées dans la dépression, qu'elle aura compris quelle est sa valeur et que vieillir ça a aussi du bon, même seule, parfois.
Mais pour l'heure, elle savoure l'instant présent :

- "C'est le plus beau jour de ma vie".

Et tous les badauds bedonnants vieux avant l'âge, en slips de bain douteux et tatanes bon marché, les mains grasses de chips façon porridge et l'haleine alcoolisée, revenus sur l'ile pour leurs dix ans de vie commune, émus, y croient aussi.