petites morts sans importance
&
poésie de supermarché

 

 

sur le balcon

 

 

Nous n'avons pas fait l'amour, cela appartient au passé. Tu t'es endormi très vite ou tu as fait semblant pour éviter que je te caresse. Tu n'aimes pas mon contact. Je me suis levé et je m'attarde sur le balcon. La lune est pleine et je pense un court instant à l'hôpital, aux malades de mon service. Je contemple la mer, si calme.

Dans l'immeuble d'en face, je retrouve les habitués : les estivants du rez-de-chaussée dont ce jeune adolescent obèse secoué par ses quintes de toux ; plus haut, l'obsessionnelle de l'arrosage nocturne et du fitness en terrasse ; au dernier étage l'homme sans grâce, nu et sa femme qui sue la frustration, toujours aux aguets à chacune de mes apparitions. Il y a aussi l'absent : un jeune gay dont je ne sais pas grand chose, si ce n'est qu'il est rarement dans son appartement. Nous nous faisons face, parfois, mais nos regards s'évitent avec précaution... Ou prétention.

Tu ne bouges pas, tu n'as pas tendu le bras pour t'assurer si je suis à tes côtés.

Sur ma gauche, je cherche le quartier dans lequel celui qui t'a précédé habitait. On m'a dit qu'il avait déménagé depuis peu. Bien entendu, il ne m'a pas communiqué sa nouvelle adresse. Je pourrais consulter l'annuaire mais cette information ne ferait qu'ajouter à mon angoisse, si je découvrais qu'il a quitté la ville ou pire, qu'il vit tout près de chez moi. Cela fait maintenant quatre mois qu'il a rompu tout échange. Lui non plus, n'aime pas le contact.

Sur le balcon, il fait maintenant un peu moins chaud, la brise marine s'est levée. Un nuage vient masquer le rayonnement de la lune. Dans l'immeuble d'en face, toutes les lumières sont éteintes. Je me crois seul mais je finis par distinguer le jeune gay que son caleçon blanc a trahi. Nos yeux se cherchent dans l'obscurité, du moins je me plais à le penser. Avant mon départ nous saurons bien nous parler.

Je me sens triste. Ce n'est pas un sentiment morbide ou insupportable, c'est ainsi.

Je me tourne maintenant vers l'Est, vers la montagne au pied de laquelle j'ai vécu en couple durant une dizaine d'année. Lui, a mal depuis notre rupture. Je le sais fragile et en souffrance. Je n'ai plus de nouvelles depuis bientôt un an. Je comprends qu'il lui faille cette distance. Ce sont ses moments les plus difficiles, un passage obligé. Pour cela, il a du rompre le contact.

Sur le balcon, mes pensées sont fluides. Je pourrais attendre le lever du soleil mais c'est un spectacle auquel je suis peu sensible. J'enlève un gravillon qui s'est enfoncé sous la plante de mon pied. Je retourne dans le studio. Je vais aux toilettes, uriner une dernière fois sans réel besoin, juste par envie, la seule que j'aurai satisfaite cette nuit. Tu n'as pas bougé, en position de chien de fusil. Je regagne le lit, un futon dont je maudis la fermeté. Je me cale à l'extrémité gauche, contre le mur, le plus loin possible, en évitant soigneusement ton contact.